TIMECODE

De Mike Figgis

(Milan)

 

            Comme «Timecode» est un film expérimental où l’écran est partagé en quatre images montrant chacune un lieu différent mais à un même moment, la B.O. se place tout naturellement sous le signe de la schizophrénie musicale. Dominant l’album, le blues languissant de Figgis glace le sang par l’emploi d’une voix plaintive qui porte à merveille les déchirements des protagonistes jusque dans notre cœur bientôt brisé. A travers ces notes cafardeuses, on reconnaît d’ailleurs sans aucune peine la magie qui s’exerçait déjà sur la partition du chef d’œuvre de l’auteur: «Leaving Las Vegas». En continuant de cultiver le coté profondément tragique des notes, Figgis crée un fragile cordon ombilicale entre ses oeuvres précédentes et la perception de l’auditeur qui, seul face à cette musique du désespoir, se voit magnifier son vague à l’âme.

            Heureusement pour notre humeur, l’album alterne par la suite, semblable à la narration des images, différentes approches d’un monde pourtant très cohérent. On passe donc d’une splendide tristesse à une atmosphère jazzy qui sent bon les nuits fiévreuses estivales (n’oublions que Salma Hayek joue dans «Timecode»!) et donne à votre lecteur une sensualité qui vous provoque presque l’envie de le caresser (mais où es tu Salma?). Pour nous sortir de cette incitation à la débauche électronique, rien de tel qu’un peu de composition classique digne des plus grands et ce, en toute modestie classieuse. Enfin, on écoute quelques chansons suaves qui vous léchouillent agréablement l’oreille avant de vous laisser avec la tentation de se revoir le film. Une B.O. d’une rare richesse instinctive (mais jamais brouillonne) qui, en plus d’être logique dans son déroulement pourtant alternatif, prouve que Figgis est un auteur complet, en bref, un artiste.

            Pour ceux qui en douterait encore, Milan à l’extrême bonne idée de sortir une compilation des musiques de ce barbu de Mike pour ses films qui se nomme intelligemment « Figgis on Figgis ». On pourra se délecter sans peine du blues nostalgique de son très sous-estimé « Liebestraum » (en vidéo « Traumatismes»), pleurer en se saoulant à mort avec « Leaving Las Vegas », voyager en Afrique lors de  « La Fin de l’innocence sexuelle » (par contre fuyez ce pensum pelliculé) ou être séduit par la grâce romanesque très Philip Glass de « Mlle Julie ». Sans compter les plages de « Stormy Monday », le vénéneux « Affaire privée » ou l’attachant « Pour une nuit ». Pour les sceptiques qui veulent une conclusion claire: une affaire donc.

 

Yann Moreau