UNE SYMPHONIE DE L’HORREUR ?

 

            Alors que le mois d’Avril se voit offrir une pleiade de films fantastique (« L’Exorciste », « Ring », « Le Couvent », « Intuitions »), une petite rétrospective musicale du genre semble s’imposer tout naturellement. Car, si associer l’impensable Vladimir Cosma et sa terrifiante musette (revoyez l’intégral Pierre Richard!) au sentiment de crainte est légitime, la peur sonore existe bel et bien. Pour la rencontrer, inutile de forcer la dose en se collant au fond de l’oreille les classiques de Bernard Hermann tout en prenant une douche au Bates Motel. Non! Procédons donc par étape pour cet itinéraire subjectif vers les ténèbres.

            Commençons par oublier toutes notions de civilisation. Vous décidez d’aller dans les bois pour filmer une sorcière: deux options s’offrent à vous: la première est d’écouter l’excellente B.O. du nullissime « Blairwitch 2 » (parut chez Milan. Attention de ne pas se perdre sur l’autre album bourré de chansons à rendormir un mort vivant). Le maître de cette incantation, Carter Burwell, à spécialement quitté les frêres Coen pour vous plonger la tête et surtout l’ouïe dans des sonorités marécageuses (clapotis nauséeux, bois résonnants, désaccords,...) aussi envoûtantes que glauquissimes.

La seconde option est réservée au plus aventureux d’entre vous, car la sorcière qui vous poursuivra sera cannibale et très « Vorace ». Né d’un mariage à priori contre nature entre Damon Albarn (de Blur) et Michael Nyman (en rupture de « Leçon de piano » et de Peter Greenaway), leur enfant (écoutable chez Emi) est un mélange de samples hypnotiques et de compositions orchestrales torturées. Bien qu’il révulse à la première écoute, il dévoile finalement ses richesses multiples et sauvages (tribalismes des percussions, incantations primitives,...) pour aboutir à un album schizophrénique mais auditivement hallucinatoire pour les curieux.

Pourchassé, vous voyez une petite cabane perdue au fond de ce bois peu rassurant. Vous vous réfugiez à l’intérieur et, pour passer le temps, vous mettez en route un magnétophone ancestral. Pas de chance, vous qui vouliez ne plus trembler, la bande est en fait la B.O. de « Evil Dead » (disponible comme ses deux séquelles chez Varèse Sarabande), signé par ce psychopathe de Joe DeLuca! Blottit dans un coin de la pièce, vous espérez que les nappes atmosphériques au synthé, les bruits angoissants (grincements, cordes pincées,...) et les tristes mélodies au piano se taisent. Re-pas de chance, « Evil Dead 2 » fait retentir dans les moindres recoins de votre « cache », ses morceaux de bravoures hargneux et guerriers, beaucoup plus puissants qu’auparavant. L’ambiance cauchemardesque tourne donc vite à une lutte acharnée contre le mal. Au final, vous vous sentirez vivre dans la peau crevassée d’un gladiateur sortant de la quatrième dimension.

            Si vous avez réchappé à ce séjour forestier, retournez en ville. En habitant un vieil immeuble parisien, vous serez « Le Locataire » d’un appartement hanté (à visiter, enfin, chez Emaray/Universal). Malgré le fait que vous soyez sur vos gardes, la fabuleuse musique de Philippe Sarde vous poussera a rester dans ce lieu malveillant. Car possédé par une composition suavement nordiste (douce clarinette évoquant le personnage de Polanski) mais inventivement sournoise (omniprésence des sons de verres qui imagent un suicide au travers d’une véranda), vous devrez, vous aussi, vous jeter par la fenêtre.

Si jamais vous vous ennuyez dans votre logement, prenez donc des cours à l’école de danse « Suspiria ». Les Goblins (dont la majorité des CD sont chez Cinevox), groupe fétiche de Dario Argento dans les années 70, tenteront de capturer votre âme à l’aide de leurs entêtantes mélodies. Sur le son d’une mélancolique et ténébreuse comptine, une voix gutturale que l’on devine satanique vous persuadera que le malin existe. Plus qu’une invitation expérimentale: une messe noire orchestrale. Cependant, même dans un monde parallèle il est vital, pour vivre, de faire ses courses. Rendez vous à la grande surface la plus proche où le client achète machinalement ses articles tel un « Zombie ». Ce sont d’ailleurs à nouveau les Goblins qui se chargent de mettre en rayon des chants mortuaires et apocalyptiques qui résonnent encore dans nos têtes. D’un rythme africain qui ouvre le safari aux non-morts à des envolés rock lorsque les attaques des monstres s’abattent, toutes les pièces musicales, un peu datées mais non moins jouissives, font de ce disque une référence. Vous voila près à survivre sur le territoire du démon, armés jusqu’aux oreilles.

Cependant, si, par dépit, vous préférez rejoindre le côté obscure de la force, si vous vous abandonnez au mal (qui à hurlé « Salma Hayek dans Une Nuit en enfer »?), faites le avec classe et surtout grandiloquence: laissez vous bercer par les magnifiques et sombres appels des victimes de « Candyman ». Pour prouver une bonne fois pour toute qu’une oeuvre fantastique peu ne pas reposer sur des coups de violons à répétitions, l’artiste contemporain Philip Glass (déjà responsable des incroyables partitions de « Kundun » et surtout « Mishima ») a composé un authentique opéra tragique. De note en note, il (d)écrit une véritable arabesque sonore qui, de piano romantique en orgue d’église glaciale, de mélopées sépulcrales en influence orientale, touche directement au cœur. De simple B.O, la musique du film (honteusement inédite. Officiellement; car elle existe en pirate!) de Bernard Rose devient une part douloureusement belle de nous même, la part monstrueuse et triste de son état. Terrassant d’émotion...en bref, un chef d’œuvre.

            Enfin, si ,en ce commencement de millénaires, vous avez envie de vérifier si 2001 est bien l’année du voyage dans l’espace, partez visiter le vaisseau fantôme « Event Horizon ». Crée par Michael Kamen et trafiqué par les techniciens du groupe Orbital, ce monument de modernisme hanté vous obligera à affronter vos propres peurs, celles ancrées au plus profond de votre esprit car trop abominablement inavouables. Grâce a une musique symphonique mais minimaliste à la « Alien » que vient entrecouper des accents techno (pour une fois efficaces et à leur place), ce disque est un véritable Objet Sonore Non Identifié. Il mixe pour notre plus grande joie, et à l’instar du film de Paul Anderson, des thèmes classiques du fantastique avec une énergie nouvelle mais tout à fait respectueuse. Ceux qui oserons entrer dans ce futur retrouverons enfin l’élément original, dans tout les sens du terme, de la peur: l’Inconnu.

            Que vous soyez le Dr.Jekyll ou bien M. Hyde, si vous cherchez à transformer votre salon en château de Dracula; éteignez les lumières, appuyez sur Play et surveillez bien vos fenêtres. Apres tout, les créatures de la nuit doivent, elles aussi, être attirées par la musique...

 

Yann Moreau